jeudi 29 octobre 2015

La stratégie du détour

C’est une méthode utilisée afin de détourner les défenses, si chères à la personne accompagnée. En effet, tout être humain se construit bon an, mal an, avec les aléas de sa vie. Afin qu’il évolue, grandisse et s’épanouisse, son psychisme met en place des mécanismes d’auto-défense lorsque les évènements extérieurs sont trop durs à gérer. Par exemple, le décès d’un parent, l’humiliation, la violence au sein de la famille, etc. Ces défenses font partie de la personne tout autant que son caractère ou ses opinions. J’irai même jusqu’à dire qu’elles orientent son caractère et ses opinions !

On ne peut consciemment vouloir aider une personne, ou l’accompagner, sans prendre conscience de ses mécanismes de défenses. Ceci s’applique également pour la vie de tous les jours, extérieurs au cadre thérapeutique. Vous ne proposerez pas à un ami agoraphobe d’aller à un festival de musique brassant 200 000 personnes. La connaissance de la cause de cette défense – ici l’agoraphobie vous l’aurez compris - n’est pas essentielle, du moins en art thérapie. Nous traitons les symptômes, c’est-à-dire ce qui résulte d’une blessure ancienne et qui crée une enclave dans la vie actuelle de la personne. Bien évidemment, la blessure sera elle aussi abordée, comme dans toute thérapie. Des allers-retours entre présent et passé sont nécessaires. Seulement, ce ne sera en aucun cas l’action première de l’art thérapeute. Vous ne verrez pas d’art thérapeute vous dire d’entrée de jeu : « Parlez-moi de vos parents. » Et ceci, pour plusieurs raisons.

La première : Car ce n’est pas le chemin que prend la thérapie par les arts comme expliqué dans mes précédents articles. Nous sommes dans l’instant présent et nous bâtissons avec l’état actuel de la personne (comme ça, je suis sure que c’est compris).

La deuxième : Car nous travaillons sur la symbolique (voir l’article Métaphores et symbolisationen art thérapie). Or, si nous nommons un évènement comme étant l’élément clé du mal être de la personne ou comme étant le frein de son épanouissement, alors nous anéantissons les symboles, créés avant la thérapie. Les symboles sont une défense et concourent ainsi au processus de guérison.

La troisième : Car nous serions dans une approche frontale. Hors les personnes qui consultent un art thérapeute, ont choisi cet accompagnement car elles savent qu’il passe par un biais. Au lieu d’exprimer verbalement et de manière directe leur mal être, elles vont pouvoir l’exprimer par la création artistique. Nous travaillons sur la triangulation, le rapport à un tiers, entre le thérapeute, le patient et son œuvre. A cela ajouter l’empathie qui fait un va et vient entre la personne et son créateur. Ces deux éléments sont la clé de voute de l’art thérapie… et c’est à ce moment là qu’intervient la Stratégie du Détour.

                Nous emmenons la personne sur une voie qu’elle ne pensait pas explorer. Par exemple, il est conseillé de ne pas proposer à un professeur de dessin une médiation basée sur les arts plastiques… Ainsi, la personne se trouve en terre inconnue et ne pourra alors pas analyser consciemment ce qu’elle est en train de produire. Je m’explique. Nous sommes issus de la « génération Freud » où la psychologie et la psychanalyse ont été développées mais également mises à toutes les sauces. « Si je peins avec du rouge c’est parce que j’ai des pulsions de mort » (entendu chez une patiente). C’est un peu (beaucoup) plus compliqué que cela.

Le rôle de l’art thérapeute est d’amener la personne sur un terrain qu’elle ne connait pas. Tout en la rassurant pour qu’elle ne se sente pas sur une pente glissante. Et sans lui imposer sa présence pour qu’elle puisse s’émerveiller et se surprendre de ce qui sort d’elle-même… rien que ça ! Elle sera alors absorbée par sa création et non plus dans une quête consciente de logique entre sa production, son passé et son état actuel. Je dis bien consciente car encore une fois les liens vont se faire, des mots (et maux) vont sortir mais cela se fera sans le contrôle de l’esprit. Ils passeront par le vécu, l’expérience de la matière, du geste, du temps suspendu. L’art thérapeute est bien conscient, lui, de l’emplacement des défenses. C’est avec cette connaissance qu’il va savoir où il ne faut pas aller, par où passer et où il serait temps de tenter une excursion modérée.


                Pour conclure sur la stratégie du détour en art thérapie, j’utiliserai une vignette afin d’illustrer tout ce que je viens de vous dire.
Je m’occupais récemment d’un enfant ayant des gros problèmes d’intégration. Agé de 8ans, il se montrait très taquin et chamailleur avec les autres enfants, ni plus ni moins que la grande majorité des garçons de son âge. Seulement, dès qu’une personne lui rendait ses chamailleries, il partait dans une colère  d’une extrême violence où il en venait rapidement aux coups sur enfants, comme adultes. En l’observant durant des jeux avec les autres enfants, dans les moments de la vie quotidienne et durant des temps de créations, je me rendis compte qu’il avait une très mauvaise estime de lui-même, à un niveau que je qualifierai presque de pathologique. A travers le dessin, j’observe comment il traite le héros de l’histoire qu’il s’est dessiné. Le voyant englouti par les eaux, je lui propose de retourner son dessin et de continuer dans ce sens –le héro se trouvant alors au-dessus de la ligne de flottaison. Il a du mal à reprendre son histoire et part sur la création d’une carte au trésor. C’est un moment où il est très calme et pour la première fois, je sens qu’il se détend et qu’il lâche un peu de lest. Nous sommes interrompus par un autre enfant venant se moquer de lui et il retourne dans son « donjon » : la violence pour cacher sa faiblesse. Il me dira de lui-même, une fois calmé, qu’il n’a aucune qualité, qu’il ne sait rien faire, qu’il est « trop nul ».

Je tente une autre approche. Durant un temps calme, avec d’autres enfants, je narre un conte africain sur un arbre à deux branches. L’une portant des fruits juteux, délicieux, et l’autre portant des fruits mortels. Les hommes du village trouvent qu’elle branche porte les bons fruits et les mangent tous. Etant déséquilibré, l’arbre meurt le jour suivant. Ce conte induit que tout être vivant à besoin de qualités et de défauts. Que si défauts il y a, qualités il y aura naturellement ! Les autres enfants ne m’ont pas du tout reparlé de ce conte, mais le garçon est venu à plusieurs reprises me poser des questions sur cet arbre.

L’arbre lui parlait bien évidemment car il le représentait. Lui n’en avait pas conscience, seulement il voulait savoir comment il aurait fallu faire pour que l’arbre ne meurt pas, comment c’était possible qu’il ait à la fois des bons fruits et des mauvais fruits. Et alors que nous parlions de jardinage, son inconscient absorbait tout ce symbolique qui était en train de se jouer.



La stratégie du détour, c’est cela !

Mathilde Pérignon

mardi 9 juin 2015

Le mandala, au-delà du coloriage


Pour beaucoup, le mandala est un ensemble de formes présentes dans un cercle que nous colorions à notre guise dans le but de nous détendre. Nous voyons dans les kiosques, les librairies, les grandes surfaces, se multiplier ce genre d’ouvrages, traduisant au passage le désir actuel, toujours en constante évolution, qu’ont les occidentaux d’aller vers un bien-être intérieur.  

Je n’ai rien contre le coloriage. Le souci est que ces livres se nomment abusivement « art thérapie ».

Dans le milieu de l’art thérapie, nous utilisons effectivement les mandalas pour permettre aux personnes accompagnées de se recentrer sur elle-même et sur les troubles qu’elles peuvent vivre, et par la même, pouvoir les surpasser. Dans ce milieu, donc, la commercialisation de ces ouvrages est vu d’un mauvais œil car le titre « Art Thérapie » y est toujours apposé, réduisant ainsi la définition de notre métier à du préfabriqué. La thérapie, quel qu’elle soit, se joue dans la relation patient-thérapeute, dans le transfert que la personne accompagnée fait sur le thérapeute et, en art thérapie en plus, sur sa production. Sans cette relation interpersonnelle,  nous ne pouvons parler de thérapeutique.

Ces livres de coloriages devraient être traités comme des ouvrages de développements personnels, que l’on retrouve également en grand nombre. Il n’est pas question de thérapie à proprement parlé, mais de quête de bien-être et de calme intérieur. Une personne lisant un livre sur le développement personnel ne s’attendra pas aux mêmes résultats qu’une thérapie de trois ans. Elle peut se sentir soulagée, détendue, peut-être même trouvera-t-elle certaines réponses à ses questions. Car même s’il n’est pas question de travail thérapeutique à travers ses ouvrages, le passage de la personne d’état d’objet à l’état de sujet (dans le sens« d’objet de ses souffrances », où elle ne fait que les subir sans pouvoir agir) est bénéfique. Sujet, elle fait le choix d’affronter ce qui ne va pas et d’aller vers un mieux-être.

Elle ressentira cependant ce même bénéfice à travers toutes utilisations d’arts, plastique ou non. C’est la création artistique qui l’a fera retrouver son calme intérieur. C’est n’est donc pas de l’art thérapie mais de l’art tout court. L’utilisation de ses ouvrages est bénéfique donc, mais ce n’est pas de l’art thérapie et le médium du mandala n’est pas utilisé à sa juste valeur. Ce n’est qu’un prétexte marketing. Cette appellation abusive des éditeurs en recherches de bénéfices maintient la confusion autour de l’art thérapie.

Mais alors, le mandala c’est quoi ?

Cela ne vient pas du très estimé Nelson Mandala, comme on me le demande souvent… Cela ne vient pas non plus exclusivement du Tibet et du bouddhisme (même si le nom est en sanskrit « मण्डल »), comme on me demande moins souvent. Explication…

En toute modestie pour cet art que je pratique, il existe depuis le paléolithique. On ne parle évidemment pas de mandala. A cette époque, des cercles de terre au centre creux étaient disposés dans les sépultures. Il en est de même, des millénaires plus tard, dans la mythologie égyptienne, puis grecque, araméenne, latine, maya, aztèque, indienne, eurasienne. L’humanité, dans ses évolutions et dans ses cultures riches et multiples, a toujours utilisé les mandalas. Dans nos cathédrales en occidents, les rosaces qui ornent les tympans en font parties.

Tour à tour dans l’histoire de l’humanité,   il fût associé à la puissance féminine, à la création du monde, à la puissance de l’Univers ou de la Nature, où rien ne se perd et ou rien n’est exclu. Durant le 20eme siècle, il fut analysé comme une image archétype du symbole de Soi. C’est Carl Gustav Jung (psychiatre, fondateur de la psychologie analytique), qui se pencha le premier sur cette pratique oubliée en Occident mais toujours très présente en Asie, et plus précisément au Tibet. Et voilà pourquoi la présence de ce mot sanskrit sur les étalages de nos librairies. Jung parlait, et il en est de même chez les thérapeutes, de figures centrées. Le centre, le point référent évoqué au-dessus, traduit alors la position de la personne vis-à-vis de l’extérieur et de l’univers qui l’entoure.

Cette figure est universelle, dans le sens littéral. Le centre présente l’axe du monde (axis mundi) autour duquel les éléments tournent et s’organisent. Le point au centre est le repaire, d’où tout part et vers où tout revient. Il est l’élément qui ne bouge pas quand le cercle tourne.

Le contour, l’extrémité du mandala, est une délimitation vers un extérieur parfois trop vaste. Je dis bien le contour car un mandala n’est pas forcément un cercle, il peut avoir d’innombrables cotés. Le mandala tibétain, puisque nous vulgarisons ce terme, en possède une multitude : carré, triangle, losange.

Le mandala, de son terme bouddhiste, est une création éphémère en 3D réalisée en sables colorés que les moines mettent parfois des semaines à réaliser sur le sol, pour ensuite le détruire. Ils soulignent ainsi l’inconstance de l’univers. Sa réalisation s’accompagne d’un état méditatif. Le mandala, également appelé Kalachakra (la roue du temps) représente le temple du Dieu Vajrasattva, dans lequel doivent figurer les quelques 722 divinités bouddhistes (qui a dit que le bouddhisme était une religion simple ?). Les moines doivent au préalable méditer sur chaque divinité, sur chaque parcelle du temple et sur chacun de ses étages, avant de le réaliser. Il est dit que la création de ce Kalachakra est un moyen plus « rapide » d’atteindre l’Eveil. Ceci est un résumé très succinct de cette pratique religieuse.

Nous voyons bien ici que le terme mandala est utilisé abusivement.

Au-delà donc du coloriage, la réalisation du mandala fait écho au Soi, à l’intime. Et pour en développer les bénéfices, il est préférable de partir de nous-mêmes et donc de ne pas faire que du remplissage. Commencer par une couleur (jamais de noir pour commencer, ni de crayon pour prédéfinir les formes) et laissez votre main aller sur le papier. Ne décidez de rien. N’essayez pas de figurer quelque chose. Laissez-vous vous surprendre, ce sera le plus beau cadeau que vous puissiez vous faire.

Bien souvent, quand un mandala se commence, la personne veut dessiner ceci ou cela, mais ce n’est jamais à la hauteur de ses exigences. C’est en cela que les formes prédéfinies peuvent handicaper : elles peuvent aider mais enferment rapidement, ne permettant pas l’émergence de la créativité. Comme un enfant qui ne voudrait pas lâcher le bord de la piscine et nager.

Osez !

Il n’y a jamais d’erreur dans les figures centrées. Tout ce qui est présent l’est forcément dans un but. Cela reprend l’idée première des cercles centrés représentant l’Univers. Une tache ? Ne la cachez pas, elle a aussi le droit d’être là. Car tout ce qui est dans le contour fait partie du tout. Il est question ici d’acceptation de ce que nous sommes, défauts y compris, et de ce que la vie et le monde est, souffrances également comprises.

Un futur article viendra sur la réalisation des mandalas, des exercices, des méthodes et des exemples. En attendant, à vos pinceaux !

Mathilde Pérignon

jeudi 4 juin 2015

Les résistances en Art thérapie



L’art thérapeute doit considérer l’autre comme sujet. C’est bien différent de l’intentionnalité du soignant. L’autre a la place d’être ce qu’il est. On ne le force pas à aller mieux. La personne n’est pas soumise à notre volonté. Nous voulons qu’elle soit sujet mais elle est libre de ne pas vouloir. D’où l’interdiction d’intentionnalité. Pour beaucoup de personnes que nous accompagnons, ceci est difficile car elles ont l’habitude de se considérer comme objet (d’autres personnes, de leurs symptômes ou de leur mal être). Elles passent par un rapport unique à la vie, celui d’en être objet. Ces personnes ne vont donc pas aller vers la position de sujet par peur ou de par leurs résistances. Nous ne devons ni les forcer ni les brusquer. L’Autre est dans l’idée du fatum, connu dans le théâtre antique, qui écrase le héros comme une fatalité inchangeable.    
     
« Il est chimérique (…) d’attaquer de façon frontale l’aliénation, cela est voué à l’échec » (J.P. Klein, Penser l’art thérapie, page 214). Cela discréditerait également le thérapeute car il est question aussi de dévoilement. Par exemple, applaudir la performance d’une personne que l’on accompagne alors qu’elle a une image négative d’elle-même. Elle va refuser le compliment. Pire, elle ne nous considérera plus comme personne légitime car nous ne reflétons pas sa réalité. Et nous savons que la thérapie est question de reflet et de miroir.


Les stratagèmes développés par nos défenses sont nombreux. Du plus évident, celui que l’on décèle immédiatement, au plus insidieux, celui que nous ne comprenons qu’après plusieurs ateliers. Nous devons faire attention  aux défenses plus subtiles et plus difficile à déceler, autre que le déni, le refoulement ou encore l’indentification projective.

La  quotidienneté. La personne relate sans cesse ce qui s’est passé de terrible durant sa semaine, tel un JT. L’astuce fut de lui faire écouter un conte présentant des scènes horribles. Il y eut alors transposition du vécu personnel en récit. Ainsi, la thérapie partit sur la création commune de contes.

La plainte perpétuelle. La plainte peut se signifier en soi et ne souligne pas forcément un état de la personne. Il fait alors la prendre comme un matériau, sans la nommer, et faire avec elle. Cela me rappelle une expérience en pôle gériatrique où une dame se plaignait tout le temps, se répétant des litanies de souffrances. Nous avons, avec 2 clowns, fait « un rituel vaudou d’exorcisme de douleur », à grands renforts de tambour, kazou et de bulles. L’ombre sur le visage de cette femme s’envola rapidement et elle finit en riant.

Le larmoiement. La personne s’enferme dans ses émotions et s’y accroche, car c’est ce qu’elle connaît de mieux d’elle-même. Elle les voit donc comme une protection. Le problème est que le débordement attire la compassion. Il ne nous viendrait pas à l’esprit d’être sec avec une personne en larme. Mais la répétition de ces moments bloquera toute évolution possible. Il nous ait alors nécessaire d’emmener l’émotion ailleurs et ne pas la conforter. Il faut s’en servir comme appuie pour aller là où la personne ne pensait pas aller. Le but de la thérapie n’est pas de s’oublier, mais de se voir autrement. Je parlais plus haut de ré injection de l’émotion dans la création. Il en est question ici.

La théorie comme défense. Les théories freudiennes ont trop souvent été vulgarisées et détournées. Ils sont nombreux ceux qui brandissent le drapeau de la « psychologie de comptoir » et se servent d’un CQFD bancal sans savoir réellement en quoi consiste la psychologie et la thérapie. Depuis près d’un siècle, nous baignons dans ces théories freudiennes et psychanalytiques et nous pensons bien souvent pouvoir nous faire notre propre analyse pour peu que nous les connaissions un peu. Ces théories mal assimilées servent de protection à toute autre approche ou révélation de Soi à Soi. L’Homme a besoin de réponses et de sens, y compris pour ses maux. Autrefois, nous les expliquions par les croyances. Aujourd’hui, cela se fait par la psychanalyse et la psychologie. De ce fait, de par notre croyance personnelle faite à partir d’autoanalyse, aucun changement n’est possible. L’art thérapeute ou le médiateur artistique doit alors utiliser un autre chemin sans pour autant attaquer cette croyance. Comme astuce, je détourne l’objet premier sur lequel la personne va s’appuyer pour créer : ainsi, elle va lâcher ses acquis et va partir vers l’imaginaire, elle est emmenée vers un monde qui n’est pas celui qu’elle connaît. Ceci se fait, bien évidemment, progressivement.


Le symbole métaphorique. C’est le fait d’utiliser quelque chose pour ce que ce n’est pas. Par exemple, utiliser le rire et l’autodérision pour cacher une souffrance ou une faiblesse. La plaisanterie devient habituelle et enferme alors la personne dans un schéma de protection de son mal être. L’astuce serait, pour ce cas-là d’autodérision, de réprimer et d’interdire tous rires alimentant ce symbole métaphorique. De plus, ce sont bien souvent les personnes faisant le plus rire (de type maniaque) qui sont les plus dépressives. La dépression ne peut alors être décelée et traitée que si le soignant comprend le mécanisme de défense, ici symbole métaphorique, en marche.

Le but de l'art thérapeute va être de déplacer la personne. Le déplacement est le fait , logiquement, d’emmener une personne d’un point A vers un point B. Nous retrouvons ceci dans toutes thérapies, le but étant d’être différent en en ressortant. Seulement, en art thérapie, ces mécanismes de déplacements vont être différents des autres accompagnements.
Comme je l'ai expliqué dans un précédent article, de par la métaphore et la symbolisation. Rapidement, en protégeant l'espace symbolique de la personne, en ne divulguant pas le sens de ses créations et en la laisser en empathie avec son oeuvre, elle va devenir non plus objet, mais sujet de sa vie.
De par également le transfert, qui se différencie en art thérapie des thérapies traditionnelles, étant ici dans un rapport incluant un tiers : l'oeuvre artistique. Je développerai ce point dans un futur article.
A l'INECAT, nous parlons de stratégie du détours. Je développerai également ce point ultérieurement.

Pour nous, le propre de toute thérapie est de décoller la personne d’une identité réduite à la souffrance, Jean Pierre Klein.



Mathilde Pérignon






mercredi 3 juin 2015

Métaphore et symbolisation en Art thérapie


   La symbolisation se fait bien avant l’amorce de création. Elle est présente dans la rencontre patient/thérapeute. Une thérapie, c’est aussi une rencontre factice entre deux personnes. Nous touchons ici le principe de transfert. Ce dernier n’intervient pas seulement entre un patient et un thérapeute. Il est présent dans toute relation humaine, selon la théorie freudienne. Ainsi, quand une personne commence une thérapie, elle met en place une rencontre factice permettant un transfert d’elle sur le thérapeute. La rencontre est donc symbolique. Il n’est pas question d’une rencontre fortuite au coin d’une rue.

Du même ordre, il nous est demandé en art thérapie, de ne pas prendre connaissance des fiches de patients. Ainsi, nous ne sommes pas tentés de prendre de raccourcis pour arriver au but que nous nous serons alors donné. Nous devons nous adresser à la personne dans son intégralité et non pas avec l’étiquette, par exemple, enfant-psychotique-maltraité-à-tendance-suicidaire. La rencontre ne pourrait alors pas se faire car nous ne serions pas totalement ouverts à l’autre. Nous y reviendrons ensuite. L’art thérapeute ne doit pas interpréter, ce n’est pas le but ici. Interpréter résumerai à considérer l’œuvre symbolique à travers symptôme seulement. Mais également, l’interprétation parfois demandée au patient sous la forme anodine du « qu’est-ce que tu as voulu DIRE ici ? » supprime toute symbolisation, si chère à l’art thérapie. La personne se voit alors contrainte de mettre des mots sur l’innommable et le principe premier de l’art thérapie s’effondre alors. Le thérapeute n’est bien évidemment pas dupe, mais il gardera pour lui les liens qu’il pourra faire entre telle ou telle production.

En ne faisant mine de traiter que la création, l’art thérapeute protège le sens originel et favorise la voie de la symbolisation. En laissant croire qu’ils ne voient que la métaphore, ils font oublier la vérité, qui reste bien entendue présente mais cachée. Le mystère (dans l’idée de protection de la vérité) reste intact. La personne peut alors avancer sans se faire mal. La création a pour fonction de la faire avancer dans ce sens. Elle permet toutes les possibilités car elle fait appel au jeu et au ludique. Nous pouvons tuer et éventrer un personnage sur scène. Nous en donner à cœur joie. Et faire la bise à la personne-comédienne en sortant de l’atelier. Nous voyons bien ici que la création protège, et le mystère et la symbolique. L’art thérapeute, de par sa présence discrète, supervise ce jeu et la symbolique se met alors en place. Son rôle est d’amener la personne plus en profondeur dans son mystère, plus en profondeur dans sa création, plus en profondeur dans son jeu (ou Je)… Bref, dans sa symbolisation.

La métaphore introduit un déplacement du sens. C’est sur ce déplacement que va s’appuyer l’art thérapeute. La métaphore serait alors la solution de l’énigme, résident dans l’Autre. En opérant un déplacement, la personne ne s’appuie plus sur ses acquis mais elle commence à s’appréhender d’une manière différente. Son référentiel est en train de se déplacer. C’est la raison pour laquelle, il ne faut pas expliquer les symboles, tout comme, par exemple, expliquer le sens d’un conte ou le message que le peintre a voulu faire passer dans son œuvre. S’il y a explication, on enlève la magie de l’expérience intime du vécu. La métaphore permet de tourner autour des mystères sans les expliquer. Elle transmet ce qui ne peut être prononcé ou dit pour ce qu’il est. Elle dit sans dire. Elle pointe du doigt sans toucher. La personne passera donc par elle, du moins, nous devons l’y emmener, pour exprimer son mal être sans le prononcer mot pour mot. Elle se réappropriera alors son récit en le réinventant d’une autre manière que ce qu’elle a l’habitude de se dire.

M.H. Erickson, psychiatre et psychologue américain, explique que pour débloquer certaines impasses, nous pouvons faire appel aussi à la métaphore. Si un patient résiste aux consignes, nous pouvons induire que l’idée vient de lui. Nous détournons ainsi ses défenses, tout en douceur. La métaphore sert donc de stratégie du détour. Elle manipule les sensations des personnes. Elle offre des suggestions non verbales et des indications imagées qui vont stimuler une partie du cerveau autre que celle de l’ouïe et de la compréhension directe. En passant par la création d’images mentales, la personne s’approprie différemment ce que nous lui disons (Hypnotic realities: The clinical hypnosis and forms of indirect suggestions, M.H. Erickson).

En ne semblant s’occuper que du concret comme la réinjection de l’émotion dans l’œuvre, l’art thérapeute a toujours à l’esprit d’emmener la personne plus en profondeur vers son monde métaphorique. Son approche elle-même est métaphorique, puisqu’il avance sous cape. Ainsi, métaphore et symbolisation vont de pair. La métaphore est dans la création, dans le faire, le visible. La symbolisation résulte d’un mécanisme psychique. En ne dévoilant pas le sens des métaphores, sans chercher à les comprendre, nous devons créer les conditions pour que la thérapie ouvre sur des symbolisations. Nous devons ouvrir la métaphore. La symbolisation avancée par le thérapeute va permettre à la personne d’avancer sur le chemin du mieux-être sans s’en rendre compte, sans avoir l’impression de faire d’efforts. Elle ne se rendra compte que de la réalité, de ses créations, pour ce qu’elles sont. Son cheminement symbolique se fera sous cape.


Mathilde Pérignon
Mon site