Le besoin d’extimité
Durant
mes interventions en CSAPA[1],
j’ai pu voir à travers le médium théâtre (improvisations théâtrales et clown)
toute l’étendue de la complexité du regard en art thérapie.
Je rencontre un jeune homme, que je nommerai ici Alban, lettré et aimant utiliser les mots afin de faire rires les autres. Il présente une image de lui plutôt cabotine et sympathique. Il n’a semble-t-il pas, de prime abord, peur du regard et de l’attention de l’autre puisqu’il les convoque à chaque fois qu’il sort une blague. Il est, ce que je pourrais appeler, un clown dans sa vie de tous les jours. J’ai pensé, en le rencontrant la première fois, qu’il n’aurait aucun mal avec le médium théâtre.
Je rencontre un jeune homme, que je nommerai ici Alban, lettré et aimant utiliser les mots afin de faire rires les autres. Il présente une image de lui plutôt cabotine et sympathique. Il n’a semble-t-il pas, de prime abord, peur du regard et de l’attention de l’autre puisqu’il les convoque à chaque fois qu’il sort une blague. Il est, ce que je pourrais appeler, un clown dans sa vie de tous les jours. J’ai pensé, en le rencontrant la première fois, qu’il n’aurait aucun mal avec le médium théâtre.
Lorsqu’il
se retrouva sur scène, sous le regard de ses camarades de vie commune, ses
défenses se mirent en marche de manière très perceptible. En effet, lui qui
était généralement maitre de son humour, choisissant ses mots et ses termes, se
retrouva, lors des échauffements corporels en cercle, à rire au moindre geste
qu’on lui demandait de faire. A commenter, parfois intempestivement, la moindre
des propositions de l’intervenante.
Lors des
improvisations, Alban continua à se protéger par le rire. Moqueries sur
lui-même uniquement. Il n’était pas dans le refus de l’atelier, du cadre, il
était plutôt dans un refus de lui-même, de ce qu’il produisait. Son imaginaire
est très réactif et il arrive à le développer sur scène, mais dès qu’il prenait
du recul sur ce qu’il venait de produire verbalement ou physiquement, son
auto-jugement mettait fin à sa création.
Alban, durant les 5 ou 6 premiers
ateliers, me dit qu’il n’arrivait pas à jouer, qu’il n’était pas « bon ». En
accueillant ses mots, et sans contredire son point de vu négatif sur lui-même,
je notais qu’il y avait une grande différence entre sa production artistique et
le regard qu’il en avait. De même, il y avait un fossé entre le Alban taquin, semble-t-il
sûr de lui et de sa capacité à faire rire les autres, et le Alban mal dans sa
peau sous le regard de ses compagnons.
A la fin
d’une séance, après 2 mois d’atelier, il s’exprime en ces termes :
« Le regard des autres me fait peur. Je rigole, pas pour me moquer de
l’atelier, mais parce que je me protège, parce que je suis gêné. Je me sens
ridicule et j’ai toujours des images qui me viennent en tête, où on me
filmerait en train de faire les exercices et plus tard mes enfants se
moqueraient de moi. »
Le jeune homme exprimait clairement
sa contradiction. Il se dit lui-même blagueur mais là, dans l’atelier, n’étant
plus à la barre des propositions, ses défenses était mise à jour. Le regard des
autres lui donnait de la contenance, un appui et une assurance. Il contrôle l’image
qu’il leur envoie de lui-même. Or, dans la création artistique théâtrale, il
est question d’utiliser d’autres images de soi, de présenter des archétypes de
personnages, plus ou moins éloignés de soi. Et c’est là qu’il y a eu une levée
des défenses chez Alban. Ne donnant plus une image de lui validée par lui-même,
mais la créant dans l’instant, durant le processus de création, il fut déstabilisé.
Et lui qui semblait si sûr de lui, passant par l’humour et l’autodérision,
était en fait dans une estime de lui-même assez fragile et où le regard de l’autre,
lorsqu’il n’était plus orienté, pouvait rapidement être perçu comme néfaste.
En
aparté, je note également ici qu’il faut toujours être vigilant dans les
raccourcis évidents que nous pouvons prendre dans nos accompagnements. Rentrer
dans le jeu de la personne à rire de ses blagues, à lui proposer des créations
qu’en lien avec son cabotinage, etc. De même aujourd’hui, je ne pense pas que
le théâtre était un bon médium artistique pour lui. De prime abord, c’est ce qu’il
m’avait semblé le plus approprié. Mais alors qu’il avait un rapport particulier
au regard de l’autre, il aurait peut-être mieux valu passer d’abord par un médium
ou le regard des autres est moins présent. Tels que les arts plastiques ou l’écriture.
Et ensuite, peut-être, revenir sur le médium théâtral. Un travail aurait alors
déjà été amorcé sur le regard de soi à soi, dans l’intériorité et dans l’intime,
avant de se risquer de nouveau au regard du groupe. Ou bien, proposer une autre
forme de théâtre. Où il n’y aurait pas de présentation d’improvisation, mais d’avantage
une recherche intérieure de personnages.
Serges Tisseron a longuement écrit
sur ce désir ambiguë de ce montrer et de se cacher. Il utilise les termes
d’intimité et d’extimité[2].
Celui d’intimité est le plus connu. Il désigne le besoin et le désir, qui nait
au cours de la quatrième année chez l’enfant, d’avoir une partie de soi qui
peut être dissimulée. Cela arrive généralement avec la création de mensonges.
L’enfant comprend que ce qu’il vit intérieurement est différent des autres
personnes. De cette différence va naître le désir de cacher, de garder pour
soi, les ressentis qui organiseront sa vision personnelle du monde. L’intimité,
au-delà de l’espace privé auquel elle est souvent associée, concerne un vécu
intérieur, propre à chacun et que l’on ne désire pas montrer.
Serge
Tisseron la compare à l’extimité, qui serait donc son opposée. Ce désir de se
montrer serait antérieur à celui de l’intimité. Le nourrisson ne se sent
exister qu’à travers le regard de sa mère, à travers ses réactions à ses cris
ou ses gazouillis. Il ne vit donc durant ses premières années qu’à travers des
projections faites sur sa « mère suffisamment bonne[3] »
qui répondra à ses stimuli. L’enveloppe psychique de l’enfant n’est pas assez
développée pour qu’il puisse intégrer les éléments de la vie extérieure. Il
s’accroche donc au regard et aux réactions de sa mère – ses parents – afin
d’intégrer les évènements qui surviennent[4].
Il va rentrer petit à petit dans un jeu de questions-réponses. Devenant
destinateur des réactions de sa mère, il va comprendre que ce qu’il fait, ce qu’il
donne à voir, lui est renvoyer. Ce renvoie peut être différent de ce qu’il
attendait, et cette différence va aider son enveloppe psychique, son Moi à se construire.
Il prend conscience de l’altérité du monde. Que sa volonté n’est pas magique,
elle n’agit pas impérieusement le monde mais est soumises aux règles de celui-ci
et au bon vouloir des personnes qui l’entourent. C’est le début de la notion d’extimité.
Il n’est cependant pas question ici de celle que nous connaissons adultes. Ce
terme s’applique réellement, pour moi, lorsque la construction de l’intime est
faite.
L’extimité
est donc le besoin de montrer une image de soi à l’Autre afin de présenter
notre différence mais également afin qu’elle nous soit renvoyée, nous offrant
alors une nouvelle information sur nous-mêmes. Serge Tisseron explique ce phénomène
ainsi : « Il est pour nous le processus par lequel des fragments
du soi intime sont proposés au regard d’autrui afin d’être validés. (…) Le désir d’extimité est inséparable
du désir de se rencontrer soi-même à travers l’autre et d’une prise de risques.[5] » Nous sommes donc
ici très proche de la définition de l’empathie, déjà évoquée dans la première
partie de mes recherches sur le regard en art thérapie.
Pour l’accompagnement en art
thérapie avec le médium théâtre, il était question dans mon exemple, d’essayer diverses
identités afin d’expérimenter ensuite l’effet produit, en retour donc, du
regard du public. Le regard n’est alors pas sur la personne qui joue, ici Alban,
mais sur l’image du personnage interprété. Le regard de l’Autre est alors modifié
et la personne qui a l’habitude de se vivre à travers ce regard, de s’y conformer,
est déstabilisée. Le théâtre a permis pour Alban de modifier son regard sur
lui-même. Ainsi, il est normal qu’Alban, revenant sur sa création, n’ait qu’une
image négative de lui-même. Il n’est plus dans une position de confort où il
connait et gère l’image qu’il donne de lui-même et l’image retour que les
autres lui renvoient.
Ainsi, l’art
thérapeute, par son accompagne et par la création artistique, va permettre à
une personne ayant une image figée et/ou négative d’elle-même, de rompre ce
cercle vicieux, de ne donner à voir que ce qu’elle pense connaître d’elle-même.
L’introduction du jeu et de la création artistique amène un nouveau regard des
autres à soi mais également, de soi à soi.
Je continuerai ma réflexion sur les
présentations d’œuvres créées en ateliers d’art thérapie. Aujourd’hui, mon avis
sur la question est partagé. Cependant, les points que je viens de faire sur le
désir d’intimité et d’extimité et sur l’empathie kinesthésique, m’emmène vers
une nouvelle réflexion sur laquelle je me penche actuellement et dont je vous
ferais un compte rendu prochainement. :)
To be continued…
Mathilde Pérignon
[1]
Centre de Soins, d'Accompagnement et de Prévention en Addictologie
[2]
Serge Tisseron, Intimité et Extimité
– Communications, Culture Numérique, 2011. www.cairn.info
[3]
Concept créé et développé par Donald Winnicott, cours sur La Symbolisation,
entre autre.
[4]
Concept de Bion, l’Inconscient dans les Groupes.
[5]
Intimité et Extimité, Serge Tisseron, page 84 -85